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Sportbreizh, pour le dynamisme du vélo breton
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          • Fañch Milterre
          • Fañch Milterre
          • Le 20/04/2018
          • Déjà 40 ans...

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            Annoncé officiellement en conférence de Presse, l’arrêt de carrière surprise du plus grand coureur cycliste de tous les temps laisse le monde du sport orphelin. Nous sommes le jeudi 18 mai 1978. Il est très exactement 16h18 au Centre international de Bruxelles: « J’ai décidé de renoncer à la compétition. Je peine ces derniers mois à retrouver la plénitude de mes forces physiques. Il est temps pour moi de raccrocher».

             

            Eddy Merckx, le cœur meurtri, n’a pas d’autre choix que de remiser son vélo.  Depuis le printemps 1977, les pépins de santé s’enchainent. Il ne domine plus ses adversaires. Entier, orgueilleux, le grand Eddy ne supporte pas de ne plus pouvoir faire admirer sa roue arrière aussi souvent à ses condisciples. Une indigestion dans l’étape alpestre majeure du Tour de France qui mène le peloton de Chamonix à l’Alpe d’Huez. Un virus qu’il a ramené -comme d’autres- du championnat du monde disputé le dimanche 4 septembre à San Cristobal au Vénézuela. Francesco Mozer appartient à la génération montante. De 6 ans et 2 jours son cadet, il remporte le championnat du monde 1977, à 26 ans. Merckx termine seulement 33ème à 2’32’’ du vainqueur, dans la roue de Raymond Poulidor. 

             

            J’ai toujours eu pour ce coureur d’exception la plus grande admiration. Il le sait. Nos rapports sont francs. De retour d’Amérique du Sud, il me confiera en off, sans détour, de son accent belge chantant, reconnaissable jusqu’au milieu d’une troupe de chanteurs en concert : « Pendant ce championnat, pour la première fois j’ai senti que j’étais dominé. Je ne fais plus peur comme avant. Cet hiver je vais m’employer à recruter une équipe solide, capable de me protéger efficacement. Ce sera la dernière ».

            Je le trouve fatigué, épuisé. Il est loin le jeune Belge de 19 ans que j’ai découvert, éberlué par tant d’assurance, le samedi 5 septembre 1964, en bordure de l’aérodrome de Sallanches-Mont-Blanc. Le regard perçant, le cheveu court et en brosse, il brandit fièrement son bouquet et son maillot de champion du monde amateur. Sa première médaille en or au tour du coup. Je saisis la scène avec mon appareil, le Mont-Blanc perdu dans la brume en arrière-plan. C’est un jour sans éclat, la grisaille, une pluie froide et drue tombe sans discontinuer. Et puis, tout à coup, un éclair, une fulgurance, quand un échassier de 1,82m, plutôt maigre pour sa taille, s’était dressé sur ses pédales dans la côte de Passy, ignorant l’inconfort du décor,  pour vaincre en solitaire devant Willy Planckaert et Gösta Petterson.  Trois fois par la suite chez les professionnels (1967-1971-1974) il concrétisera son insolente soif d’arc en ciel.  L’année suivante,  il cèdera sa tunique à un Breton. Jacky Botherel en Espagne fit naître toutes les espérances. Mais un ogre était dans la place.                

             

            « Ne penses-tu pas faire l’année de trop ? Pourquoi ne pas arrêter maintenant. Le vélo t’a comblé. Tu peux passer à autre chose, sans devoir t’épuiser à la tâche comme tu le fais depuis ton passage chez les pros. Tu ne sais faire que la course en tête ! ».

            «  Tu as peut-être raison mais le public ne comprendrait pas. Je suis payé au maximum pour donner mon maximum. Je n’ai pas le droit de sortir sur la pointe des pieds. J’ai un contrat moral envers mes supporters. Je veux encore faire partie du peloton en 1978 ». 

            A l’entendre refuser d’abdiquer, me revient une anecdote que j’avais oubliée. Alors au sommet du cyclisme, sans rival de son rang, juste des adversaires aux lendemains désarmés, j’avais pris rendez-vous chez lui, à Kraainen, une banlieue chic de Bruxelles qui surplombe la vallée de la Woluwe. Il venait d’y emménager dans une grande maison blanche, cossue pour l’époque. Ce jour-là, il faisait un temps à ne pas mettre un vélo dehors. Une pluie diluvienne, un épais brouillard. Sûr de trouver le phénomène en pantoufles, je ne me pressais pas. Claudine, son épouse, ennuyée s’excusa. Pensant que je ne viendrais plus par ce temps, Eddy était parti s’entrainer ! Je le retrouverai sur une route délavée près de Vilvorde, Huysmans grimaçant dans sa roue. Le boss était au boulot, son lieutenant n’avait pas eu le choix. 

             

            Le roi Eddy a aimé profondément son métier, tous les jours, douze richissimes années durant. Appliqué à l’entrainement, sérieux et concentré en course. Ce n’était pas le genre à faire le clown pour gagner en audience et en sympathie. Il détestait la mise en scène. Il ne jouait pas, jamais. Il pédalait en martyrisant sa grande carcasse. Sa capacité pulmonaire n’était pas la plus élevée, les battements de son cœur n’étaient pas les plus faibles. Mais il portait en lui une hargne exceptionnelle, exigeant avec lui-même comme il pouvait l’être avec les autres. Cette ténacité extrême jusqu’à sa propre maltraitance, cette volonté sans limite, cette jouissance sans partage, je les côtoierai quelques années plus-tard sous les traits de Bernard Hinault. Deux bêtes féroces semblables, insatiables, qui cachaient mal leurs blessures d’enfance. Un besoin débordant d’amour et de reconnaissance. 

             

            Il venait de fêter son 24ème anniversaire quand il s’élança de Roubaix le 28 juin 1969 sur son premier Tour de France, pour le gagner comme les trois suivants. Un palmarès long comme une caravane publicitaire, hors de portée avec 525 victoires sur route dont 445 chez les pros et 333 hors critériums. Exceptionnelle conquête ! 

            « Interdiction formelle de poursuivre la compétition au plus haut niveau » dit la médecine à son retour de vacances de Crans Montana en Suisse. 

            Eddy le magnifique ne comprenait que le très haut niveau. Il rendit les armes.    

             

            FM 

             

            Photo Cycles Eddy Merckx / http://www.eddymerckx.com

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